Et si le temps, loin de s’élancer vaillamment dans une seule direction, préférait en réalité papillonner à droite à gauche… ou plutôt, dans les deux sens à la fois ? Non, ce n’est pas le synopsis d’un film de science-fiction, mais une prouesse qui défie notre conception du réel, tout droit sortie des laboratoires d’Oxford et de Vienne. Attachez vos ceintures temporelles : le « retournement temporel quantique » remet en question toute notre vision du temps !

Quand la mécanique quantique fait fi du sens unique

À notre échelle de bipèdes organisés, le temps avance calmement, du passé vers le futur – et les événements suivent consciencieusement un ordre causal bien défini. Impossible d’inverser tout cela (malheureusement pour ceux qui regrettent leurs coupes de cheveux des années 90). Mais au royaume de la physique quantique, les règles s’assouplissent sérieusement : à l’échelle subatomique, la frontière entre passé et futur s’estompe, et deux événements contradictoires peuvent très bien coexister.

Tout repose sur le fameux principe de superposition : un état quantique peut exister sous plusieurs aspects en même temps, tant qu’on ne le mesure pas. Le chat de Schrödinger – à la fois mort et vivant tant que personne n’ouvre la boîte – en est l’illustration la plus célèbre.

Retour vers le futur… et vers le passé : le retournement temporel quantique

C’est cette étrangeté temporelle que Giulio Chiribella et son équipe à l’Université d’Oxford ont mise à profit. Leur pari : combiner superposition et indifférence des lois de la physique à la direction temporelle pour imaginer… une superposition des processus eux-mêmes ! Concrètement, ils ont cherché à savoir à quoi ressemblerait une particule se déplaçant à la fois en avant ET en arrière dans le temps. Oui, littéralement.

L’équipe a nommé ce tour de magie quantique « retournement temporel quantique ». Pour Chiribella, c’est tout simplement le chat de Schrödinger version flèche du temps. Avec son collègue Zixuan Liu, il a même développé un formalisme mathématique pour décrire des opérations quantiques suivant une direction du temps indéfinie – et même un ordre causal indéfini. Tout un programme.

Mais la vraie surprise ? Ils n’ont pas gardé cela au stade théorique : place à l’expérimentation ! Grâce à un diviseur de photons, chaque particule de lumière a été scindée en une superposition de deux chemins distincts à travers un cristal : l’un de droite à gauche (le sens normal), l’autre de gauche à droite (comme si le photon remontait le temps). Selon la polarisation de la lumière dans le cristal, le photon se comportait comme s’il évoluait en marche avant… ou arrière dans le temps. Impossible, alors, de savoir par quel chemin le photon passait vraiment : il était dans une superposition des deux. À la sortie, les chercheurs ont recombiné le photon pour mesurer sa polarisation et, avec suffisamment d’essais, ont mis en évidence cette superposition temporelle inédite.

Les résultats ? Bluffants. « Nos résultats établissent l’indéfinition de l’entrée-sortie comme une nouvelle ressource pour les protocoles d’information quantiques et permettent la simulation sur table de scénarios hypothétiques où la flèche du temps pourrait être dans une superposition quantique », soulignent-ils dans leur publication – de quoi faire pâlir les auteurs de science-fiction. Fait amusant, une équipe de l’Université de Vienne, dirigée par Teodor Strömberg, a obtenu les mêmes résultats avec une expérience similaire. Quand l’Europe synchronise ses montres…

Quelles conséquences pour notre compréhension du monde ?

Si l’utilité pratique de ce retournement temporel quantique semble aujourd’hui aussi indéfinie que la direction du photon, il y a de quoi rêver. L’équipe de Chiribella s’est intéressée à de possibles applications pour les ordinateurs quantiques. Notamment dans la relation entre deux portes logiques quantiques : grâce au retournement temporel quantique, il serait possible d’inverser leurs entrées et sorties – soit de calculer dans les deux sens à la fois. Ce type de procédé n’est envisageable, pour chaque paire de portes, qu’en profitant de cette gymnastique temporelle quantique.

En clair, la superposition d’un processus et de son inverse temporel ouvre la voie à des tâches de calcul capables de surpasser celles où le temps se contente d’avancer gentiment dans un seul sens.

  • Des implications pour les protocoles d’information quantique.
  • Des simulations inédites pour scénarios où la flèche du temps perd son unicité.
  • De nouvelles pistes pour la conception d’ordinateurs quantiques plus efficaces.

Mais ce n’est pas tout : certains experts, comme Lucien Hardy du Perimeter Institute, y voient peut-être le chaînon manquant pour développer une véritable théorie de la gravité quantique, capable d’unifier mécaniques quantique et relativité générale. Pour lui, c’est le principe « d’indéfinition causale » – à savoir la superposition de différentes directions du temps – qui pourrait jouer ce rôle clé.

Et maintenant, doit-on laisser tomber la notion de temps ?

Faut-il, tremblants, tirer un trait sur l’idée d’une direction unique du temps ? Pas de panique, votre montre continue de tourner dans le bon sens à l’échelle macroscopique et votre café refroidira, lui, toujours du passé vers le futur. Mais à l’échelle quantique, cette découverte suggère que la flèche du temps est loin d’être une règle universelle, peut-être même un concept « émergent » bien plus qu’un fondement.

Comme souvent en physique, l’histoire a montré que les bizarreries quantiques, longtemps reléguées à la curiosité théorique, finissent par bouleverser la technologie : la superposition quantique, d’abord jugée abstraite, est aujourd’hui cruciale pour les ordinateurs quantiques. Alors, qui sait ? Peut-être qu’un jour, ce retournement temporel présentera des applications incroyables, voire nous donnera les clés d’une nouvelle grille de lecture du réel. D’ici là… restons à l’écoute, dans toutes les directions du temps.